26/11/2010
Le petit papier
Je tiens à remercier Mme Thoraval et ses compagnons de lutte de l'opposition municipale de Romans dont les dernières propositions en terme de rigueur budgétaire m'ont poussé à narrer un voyage vécu en Croatie en 1996!!
Zadar, juillet 1996.
Les accords de Dayton, mettant fin à l’ ex Yougoslavie, viennent juste d'être paraphés par les différents belligérants sous l'égide américaine. Pendant plus de cinq ans, l'ONU, l'Union Européenne ont été incapables de mettre un terme au plus vite au pire conflit qui a ravagé notre continent depuis la seconde guerre mondiale. (1)
J'avais six ans en 1989 quand j'étais parti avec mes parents en Yougoslavie, à Zadar précisément. De ce lointain voyage, quelques bribes de souvenirs. Une chasse à l'étoile de mer avec mon père, une sortie en zodiac avec notre hôte Nenad, un long convoi militaire qui nous bloqua la route pendant un long moment un soir que nous quittions Zadar pour une villa à la campagne ou encore ces billets avec tellement de zéros, billets qui rendaient mes parents millionnaires.
Lorsque j'étais en cinquième, une annonce, sur un panneau d'affichage du collège Debussy informait qu'un voyage était organisé en Croatie; j'ai décidé de demander des informations au professeur responsable de l'échange, d'en parler à mes parents...Je voulais y retourner.
Pendant des années, la ville de Zadar, jumelée avec celle de Romans sur Isère dans la Drôme, a été coupée du reste du monde, subissant un véritable blocus instauré par les forces militaires serbes. En ce début d'été 1996, quelques dizaines de jeunes romanais partent en Croatie pour renouer des liens coupés par cinq années de guerre.
Je fis partie, grâce au comité de jumelage qui deviendra plus tard « Romans International », de ce petit groupe de privilégiés.
Après une traversée de l'Italie, toute en autoroute, dans un car des Rapid'Bleus, nous avons longé la côte très très découpée du littoral slovène puis croate pour arriver enfin à Zadar, ville située sur une petite presqu'île. (Depuis le réseau autoroutier s'est considérablement développé.)
Les faubourgs de la ville, constitués de petits villages ne sont plus que cendres et ruines. Nulle trace de vie dans cette contrée mais une multitude d'impacts de balles sur les maisons. Les murs de certaines sont noircies, n'ont plus de toits, d'autres ne sont plus qu'un amas de ruines..
Nous passons sur un pont flottant qui tangue sous le poids cumulé des différents véhicules qui l'empruntent. L'ancien pont n'est plus qu'un amas de ruines, dynamité par les forces serbes. Des deux côtés, il ne reste que quelques poutrelles rouges. Entre les deux, un grand vide.
Nous arrivons à Zadar, notre destination. Les stigmates de la guerre sont présents partout. Au milieu des rues de la ville, les nids de poule, nombreux, sont autant de traces laissées par des roquettes. Des gros trous avec une multitude de petits impacts tout autour... des morceaux de shrapnels meurtriers.
Nous avions entre 12 et 15 ans et nous découvrions les traces d'un conflit meurtrier dont nous ne connaissions pas l'ampleur à l'époque. Pour beaucoup aujourd'hui, la guerre se résume encore à Vukovar en 1991 et Srbrenica en juillet 1995. Entre ces deux dates, 200 000 morts.
Après avoir traversé la ville, nous arrivons enfin à destination, une salle polyvalente où nous devons rencontrer nos familles d'accueil. La mienne est composée d' un autre Nenad, Maria et de leur fils Mladen. Nenad est inspecteur d'académie si l'on traduit en équivalence française. J'apprendrai qu'à ce poste, ses revenus sont cinq fois moins importants que celui de mon père, instituteur. C'est lui qui m'avait demandé des précisions et qui le premier m'a fait prendre conscience de la notion d'inégalité. Je suis donc peut être indirectement devenu un jeune émule d'un ancien titiste...
Petite réunion d'accueil avec les officiels puis départ, chacun de son côté , avec son correspondant. Je goûte à l'automobile locale en montant en bord d'une vieille YUGO jaune foncé dont le coffre arrière et l'une des portes tiennent avec des cordes. Faute de pièces détachées ou de moyens, cette bonne vieille voiture, symbole de la Yougoslavie unie d'autrefois me conduit à travers les rues et avenues de la ville. Des trous de roquettes ont été hâtivement rebouchés sur certains immeubles. Je me sens un peu seul, je crois que les larmes me montent aux yeux mais je les retiens. Du haut de mes 13 ans, ma fierté en prendrait un coup.
Enfin nous arrivons sur le parking commun à plusieurs barres d'immeubles après un trajet qui me semble interminable. Nous sortons de la voiture, je prends ma valise et me rends à l'entrée. Les sacs de sable sont encore là, dans le hall d'entrée et dans l'escalier qui conduit au premier étage. Encore une trace de la guerre, d'une époque où les habitants de Zadar subissaient les tirs à l'arme lourde ou les tirs de snipers.
J'arrive dans le petit appartement de Mladen. Sans doute aujourd'hui avec du recul j'y vois le « 50m2 standard communiste ». Une petite salle de bain, deux chambres et une petite cuisine qui donne sur le salon.
Ma chambre de France me semble vraiment loin. J'étouffe un peu là. J'ouvre donc la porte de la chambre qui donne sur une petite terrasse. Et là je vois un tube d'une trentaine de centimètres de long. Nul doute, il s'agit d'un lance-roquettes. Les larmes sortent. Mais dans quel pays j'ai atterri.... Pourquoi avoir répondu positivement à une petite annonce punaisée sur l'un des panneaux d'information de mon collège à Romans quelques mois plutôt.
La semaine, nous faisons des sorties tous ensemble, français et croates réunis. La barrière de la langue est là mais il n'y a que chez les adultes qu'elle semble parfois insurmontable. La musique, les cartes, le foot, les batailles de concombre de mer, on n’a pas toujours besoin de mots.
Mais le premier week-end, nous devions rester avec nos familles. Le père de Mladen parle couramment français, un luxe que mes copains m'envient. C'est vrai que c'est parfois un peu plus facile pour moi. Rencontre avec la soeur de Mladen qui vit dans une maison à la périphérie de la ville. Elle avait été envoyée avec son frère en Suisse durant une partie du conflit.
Puis départ pour la maison secondaire construite dans un petit village à une vingtaine de kilomètres de la ville.
La maison semble intacte, mais mis à part les quelques affaires ramenées depuis peu, elle semble étrangement vide. Et pour cause, un nom avait été inscrit à l'entrée. Un militaire serbe se l'était attribuée pour la fin de la guerre. Cette fin n'étant pas celle qu’il avait espérée, celui-ci avec ses comparses l'a totalement pillée : Les meubles, bien sûr mais également tout, tout jusqu'aux prises électriques. Nenad aurait voulu, avec sa maigre paye de fonctionnaire, finir le troisième étage de la maison pour son fils. Pour l'instant, il faut refaire, racheter ce qui lui a déjà tellement coûté.
La maison voisine a brûlé. Une autre a un grand trou avec des poutres entremêlées.
Nous allons nous baigner. L'après midi, balade dans la nature. Je prends de l'avance et décide de couper et donc de sortir du chemin. Des cris retentissent derrière moi. C'est Nenad. Je reviens vers lui, penaud, ne comprenant pas les motivations d'une telle attitude....Le chemin est sûr mais le territoire a été miné pendant la guerre m'explique t-il. Nous continuons donc notre ballade en restant sur le chemin. Autour de nous, la nature.....
Le reste de la semaine s'écoule comme un rêve. Balade dans l'ancienne ville et découverte du patrimoine local. Une petite église avait été détruite et reconstruite avec les moyens du bord. Les pierres ne me semblent pas toute au bon endroit. Et puis Zadar, c'est ses plages. Borik est sans doute la plus connue. Autrefois, très courtisés des touristes, notamment allemands, les hôtels semblent tous à l'abandon. Le secteur touristique mettra des années à repartir. Pour l'instant, nous semblons être les seuls occidentaux présents et la plage est notre lieu de rendez vous.
Dans la semaine nous nous rendons sur l'une des nombreuses îles qui se trouvent au large de Zadar. Et là grave déconvenue, les plages sont couvertes de déchets. Pendant des années, les croates ont sans doute eu d'autres préoccupations que l'environnement.
Voilà donc en quelques jets des souvenirs d'enfant. Les miens en l'occurrence. La mise en veille, grave euphémisme, de Romans International, demandée par l'opposition UMP, j'ai vraiment du mal à l'avaler. C'est pourquoi j'ai donc décidé d'écrire. Je veux que mes enfants partent un jour, pas forcément dans le même contexte…..
Les voyages tels que ceux que j'ai eu la chance de vivre sont une formidable ouverture au monde.
Ces souvenirs ont 14 ans et restent vivaces.
A Annie, mon institutrice de CM1 qui m'a permis de me rendre en Tchécoslovaquie en 1993.
A tous ceux qui m'ont permis de me rendre à Zlin de nouveau en 2000 et 2001.
A tous ceux qui m'ont permis de me rendre à Straubing en Allemagne.
Merci à mes parents de m'avoir fait découvrir Taroudant au Maroc et tellement d'autres villes en Europe.
(1) A voir No Man's Land de Dani Tanovic, découvert autrefois lors des séances Art et Essais à Jean Vilar.
21:58 Publié dans Blog, Livre, Politique | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Beau témoignage. Romans international aurait bien besoin d'en récolter de nombreux comme celui-là.
Écrit par : Hubert Guillaud | 27/11/2010
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